A l’avant du 217, les deux matelots gabiers, à l’aide d’une sonde en bambou « chantent » le fond : 1 mètre 90, 2 mètres, 2mètres10…
Ils sont à Cua-Van-Uc, un sale coin. Le chenal est balisé par cinq bouées : il en manque toujours une ou deux et il faut faire très attention pour ne pas se mettre au sec, échapper au « makui » des fleuves. Le 217 de la première Dinassaut est en opération de nuit. Les moteurs ont été stoppés et le vacarme des crapauds buffles est assourdissant.
Exemple parfait de coopération intime entre l’armée de terre et la marine
Les Dinassaut (Divisions Navales d’Assaut) ont été créées par le Roi Jean (général de Lattre de Tassigny), dans les années 1950, en puisant dans les effectifs de la B.M.O.E. Les officiers et les équipages sont nouveaux ; seuls les sous-officiers sont des anciens qui ont déjà baroudé en Europe au sein des FFL, au RBFM ou au 1er RFM. Ces Dinassaut, héritières des barcasses du commandant KILIAN et de ses fusiliers marins qui dégagèrent Saïgon en décembre 1945, vont se constituer avec des moyens plus puissants et mieux adaptés à ce pays où tout se transporte par voie d’eau. Elles reçoivent des LCA, LCVP, LCT, LCM et des vedettes FOM. Ces vedettes ne sont pas armées par des marins, mais par des soldats de l’armée de terre.
En fait, les Dinassaut sont un exemple parfait de coopération intime entre l’armée de terre et la marine. Le marin et le fantassin vivent l’un pour l’autre. Jamais, sur aucun autre théâtre d’opérations, le sort des marins et des soldats n’aura été aussi étroitement et aussi durablement lié.
L’idée principale est de débarquer à l’improviste sur renseignement des compagnies de supplétifs vietnamiens, des légionnaires, des commandos de toutes armes. L’objectif est d’éradiquer les postes de tir que les Viets ont installés afin de barrer la libre circulation de nos bâtiments et laisser la place libre à leurs jonques de charge qui ont pour mission de collecter le riz dans le delta riche. Les Dinassaut bouclent la circulation sur les rach et les arroyos et empêchent les Viets d’échapper aux opérations terrestres montées par l’état major, qui arrivent à les coincer en bordure de rivière.
Ces engins de débarquement à fond plat et de faible tirant d’eau, sont parfaits pour le type de missions auxquels on les destine. Leurs équipages proviennent de toutes les spécialités de marine, tels que mécaniciens, radios, timoniers, manœuvriers, secrétaires, fusiliers, canonniers et torpilleurs. Ils se sont tous très bien adaptés à cette vie de romanichels où le danger, la chaleur, l’humidité constante, les maladies tropicales, l’inconfort et le danger sont permanents. Le LCM porte en général la marque du commandant de division, un triangle tricolore pour les capitaines de corvette ou de frégate.
CAM BAO
« J’aimerais bien débarquer à Cam Bao et revenir avec quelques armes ! On ne sait jamais … »
Trois LCM, trois LCVP, et le LCI qui ferme la marche descendent le Fleuve Rouge et vont passer devant Cam Bao, village réputé dangereux, en zone ennemie.
Dans la « cuve » des trois LCM, les commandos supplétifs vietnamiens ayant pour indicatif « MATOU », attendent de débarquer pour se donner de l’air.
Le pacha, debout sur le toit de la passerelle, fouille avec ses jumelles les remparts crénelés. Il repère des têtes qui apparaissent et disparaissent rapidement. Puis, dans ses jumelles, apparaît une tête coiffée d’un casque verdâtre; un régulier. Il se fixe sur ce type et ne quitte pas des yeux la digue qui se rapproche rapidement. Le LCM entame son approche pour « beacher » lorsque le pacha voit le type au casque basculer dans sa direction un tube de bazooka. Il se dirige tranquillement vers le canon de 20 babord et le désigne au tireur.
En deux rafales son compte est réglé. D’autres casques se montrent et rafalent le LCM de tête qui défile à 20 mètres de la berge. Ça sent le traquenard; débarquement annulé. En un instant la bagarre devient générale, ça fuse de tous les côtés, les traceuses voltigent dans les deux sens. Ça sonne sur les blindages, le 75 du LCI allume les positions d’armes lourdes. Le matelot DUPRAT, une balle dans la mâchoire perd son sang en abondance, Le cuisinier qui sert le 20 de bâbord est touché ainsi qu’un sergent annamite. Le matelot LOCHON est criblé d’éclats.
CHARBONNEL, matelot timonier, entre deux messages, le casque radio sur la tête, manie avec dextérité un fusil-mitrailleur.
Sept kilomètres sous le feu ininterrompu des réguliers qui avaient monté une belle embuscade. Le pacha a eu le nez creux d’annuler son opération terrestre.
A DAP-CAU, les blessés sont évacués vers Hanoï grâce à l’aide active des soldats du génie et du 1er chasseurs.
Le sergent ne survivra pas à sa blessure. Il avait mérité déjà deux citations avant que cette dernière croix de guerre vienne s’épingler sur le coussin au pied de son cercueil.
Les autres blessés survivront.
-FNCV-
Note de l’auteur : Les lignes ci-dessus m’ont été inspirées par le livre du capitaine de corvette de BROSSARD qui m’a fait l’insigne honneur de préfacer « Radieuse Aurore » mon livre sur les « saccos » de la DBFM. Les illustrations des engins mis en œuvre sont extraites de son livre paru aux Editions France Empire en 1952, et toujours disponible.