Volontaires
d'aujourd'hui... Volontaires de demain ?
= 1939 - 1945 =
Daniel Vichard
J'avais huit ans en juin 1944, dans les Vosges.
Le 6 juin 1944, jour du Débarquement, il y eut le sabotage de la voie ferrée St Dié – Epinal, les combats de Taintrux où trente-quatre maquisards attaquent la garnison, font prisonniers quarante-huit convalescents de la Kriegsmarine en repos dans la résidence “le Castel suisse “, ainsi que la destruction du poste d’écoutes aériennes des Arrentés de Corcieux
A Taintrux, de violents combats s'engagent dans les rues de ce petit village de montagne. La réaction de l’ennemi est rude. Il faut décrocher avec tous les prisonniers, qui seront libérés en fin de journée après avoir parcouru plusieurs kilomètres dans la montagne.
Puis, dès les jours suivants, une sanglante répression s'abat: plusieurs civils sont fusillés à Taintrux, à St Léonard, à Epinal, avec les premiers morts innocents, une petite fille de huit ans, un jeune garçon de quatorze ans. Le 12 juin, papa et oncle Paul, pourtant bien cachés dans la montagne sont fait prisonniers. Ramenés à Corcieux, condamnés à mort, ils sont fusillés le 14 en compagnie de sept jeunes garçons de la Chapelle devant Bruyères .
Les suppliciés touchés au cœur sont enterrés dans une prairie à proximité du bourg. Pas de cercueil pour eux, un simple drap blanc. Maman est seule à présent, elle n’a pas de profession. Par contre, elle sait tricoter, faire de la bonne cuisine, traire les vaches, changer leur litière, faner le foin, moissonner, arracher les pommes de terre. Elle a trouvé du travail chez une famille d’industriels du bourg. Elle fait le ménage, la lessive, le repassage, aide à la cuisine. Petit frère est auprès d’elle; il n’a que deux ans.
Quant à moi, je suis confié à ma grand maman paternelle. Grand père est décédé en 1943, il y a tante Odile, les oncles Raymond et Gilbert. La famille possède une ferme en altitude, isolée, à la lisière d’une immense forêt. Je joue avec Médor, je donne du grain aux poules, des épluchures aux lapins. Ce sont de grandes vacances, elles vont durer sept longs mois.
Grand mère, de santé fragile, s’occupe de la soupe, de la fabrication et de l’affinage des fromages. Tante Odile entretient la maison, fait les lessives, aide à la traite, à rentrer le fourrage. Les oncles vont aux champs, coupent l’herbe, les blés, l’avoine à la faux. Pas de machine à cause du terrain accidenté, il y a des endroits tout juste accessibles, parfois, je les accompagne, je gambade dans les hautes herbes, j’observe un couple de salamandres dans l’eau d’une mare à l’eau claire, je vais chatouiller les guêpes dans leur nid à l’aide d’un grand roseau flexible, c’est presque la belle vie.
Et puis, un matin, au dessous de la ferme, un grand remue-ménage se produit dans la prairie. Des pièces d’artillerie à longue portée sont positionnées par les artilleurs allemands ainsi que des véhicules d’accompagnement, un poste de secours, une cuisine roulante. Les canons tirent sur Epinal, sur Grandvilliers puis au fur et à mesure de la progression de l’armée américaine, sur Bruyères et sur Biffontaine où les “ Petits Japonais “ du 100ème bataillon hawaïen portent secours aux Texans du 141e RI US qui sont encerclés.
Les servants des canons allemands montent souvent à la ferme et dans l’ensemble, ils sont corrects. Ils demandent un peu de lait, des pommes de terre, des œufs. En échange, ils offrent des bougies bien utiles pour éclairer l’habitation, pour effectuer la traite du soir, le soin aux animaux. Ils donnent également du pain noir, tout juste cuit, lourd, de forme carrée. C'est du pain de guerre fabriqué avec de la sciure de bois ! En effet, ce pain inventé en 1912 était au début, uniquement destiné à l’alimentation des chevaux, mais il apparut au menu de la troupe lorsque l’intendance manquait de céréales. Les soldats apportent aussi du tabac pour les oncles grands fumeurs. Médor ne les aime pas, il grogne, aboie, montre ses crocs. Un jour, un soldat le met en joue avec son fusil Mauser. Oncle Gilbert intervient et Médor rentre précipitamment dans son tonneau–niche dont il ne sortira plus de la journée.
L’artillerie américaine répond à l’adversaire. Les obusiers sont repérés, des projectiles tombent en pluie dans la prairie, dans les champs, brisent la cîme des sapins. Les éclats labourent le jardin, frappent la façade de la maison, arrachent les volets, brisent les vitres. Nous nous mettons tous à l’abri dans le local à cochons, avec comme seule protection des bottes de paille entassées. En bas dans la vallée, une maison est en flammes, un obus au phosphore ayant percé la toiture. Un peu plus loin, chez la tante Marie, un obus à percuté l’habitation. Il explose dans l’étable au milieu des vaches et deux animaux sont tués. Dans l’écurie voisine, le cheval seulement blessé vivra encore quelques années avec dans la cuisse et dans l’encolure, des morceaux de métal et une plaie à l’aine qui saignera longtemps.
Lorsque la situation devient trop dangereuse et les tirs trop précis, nous allons nous réfugier dans une ferme amie. Celle-ci possède une solide cave voûtée dans laquelle des lits sont disposés sur la terre humide. Dans un recueillement parfait, femmes et hommes récitent le chapelet: "Seigneur Jésus protégez nous, sainte vierge Marie faite que la paix revienne bien vite". Le matin, nous rejoignons notre ferme. Médor nous fait la fête, les vaches s’impatientent: elles ont faim et soif et puis c’est l’heure de la traite.
Le danger s'accroît: les patrouilles allemandes et américaines se font face dans la forêt au dessus des Poulières. Plusieurs blessés sont soignés dans la grange et sous le hangar parmi les herses et charrues, la table de la cuisine servant de table d’opération. Oncle Gilbert fait prévenir Maman par un courageux messager: “Viens chercher ton gamin, ici ça barde trop. Nous sommes inquiets pour les jours à venir “.
Maman et tante Andréa, avec beaucoup de précautions, en évitant les routes, se faufilent dans les sous bois et arrivent à la ferme. Sans tarder, nous empruntons le chemin inverse: cette fois, je suis sur mes petites jambes et nous regagnons Corcieux.
Je retrouve mon petit frère. Il a grandi et s'est amaigri en raison des privations. Dans la maison, les Allemands occupent le rez de chaussée et les dépendances. Tout le bourg est rempli de soldats, de véhicules, de blindés, de pièces d’artillerie. Cela sent le repli vers les cols vosgiens avec tout ce qui peut être emporté: souvenirs, animaux, charrettes réquisitionnées pour transporter tout ce qui peut être confisqué.
Mes aventures ne sont pas encore terminées. Il y aura bientôt l’exode du 14 novembre 1944 sur les chemins enneigés, dans le froid et des dangers encore plus grands encore que chez mes grands-parents, à Yvoux.