Les grenouilles de bénitier, par Lucien Henri GALEA
Etant enfant, j'exerçais les fonctions de thuriféraire dans l'église de ma paroisse, ce qui m'amenait presque chaque semaine, à porter l'encensoir ou la navette contenant l'encens, accompagné de mes petits camarades enfants de choeur...
A cet âge, je dois l'avouer, nous n'étions guère imprégnés du caractère sacré de la mission qui nous était confiée par les autorités ecclésiastiques. J'avais un copain, Dédé, qui a fini sa carrière comme commissaire de police - nul n'est parfait - avec lequel nous nous étions interrogés sur le sens de l' étrange appellation "grenouille de bénitier". Celle-ci s'applique comme chacun sait, aux bigotes qui courent à l'église dès mâtines sonnantes, y retournent à la grand'messe de dix heures, puis à vêpres, et ne manquent ni un baptême, ni un enterrement, ayant sans doute beaucoup à se faire pardonner.
Ne pouvant obtenir une réponse satisfaisante à notre interrogation, nous avons un beau jour capturé dans un étang, des têtards, que nous avons aussitôt mis à mariner dans le bénitier de l'église. Le bénitier était situé dans un endroit obscur, et ni le sacristain ni le curé, ne remarquèrent la présence de ces squatters - si j'ose dire - d'un genre encore inconnu.
Le dimanche suivant, nous nous sommes postés pour regarder entrer les bigotes qui gavouillaient dans le bénitier. Elles poussèrent alors des hurlements à fendre l'âme en découvrant qu'elles tripatouillaient des têtards. Ce jour là, dans une mémorable homélie, le curé tonna en chaire contre les hérétiques qui osaient profaner un saint lieu. Nous deux, impavides, au premier rang, nous ne perdions pas une miette de ces saintes paroles.
Il y eut une suite : Dédé, qui était encore plus sacripant que moi, décida que tous les culs bénis devaient avoir une marque qui les désigne. Nous avons donc versé de l'encre de chine noire dans le bénitier. Ce qui fit que les dévotes en se signant, se collaient un point noir sur le front : c'était ça la marque du chrétien...
Se regardant l'une l'autre, elles s'exclamèrent :
- oh madame Olivier vous avez une tache noire sur le front.....
- ah mais vous aussi, mâme Roustayre....
et cela de banc en banc, ce qui finit par mettre le curé en colère. Il se déplaça, regarda les unes et les autres, fila jusqu'au bénitier et là, ayant tout compris, devint fou de colère.
C'en était trop : En chaire, il voua aux feux de l'enfer, les impies qui prenait le Saint Lieu pour théâtre de leurs opérations malfaisantes.
Je dois dire que même en confession, nous n'avons jamais osé avouer les forfaits que nous avions commis. Mais Dédé et moi, prenant enfin conscience des conséquences de nos farces de mécréants, nous y renonçâmes définitivement.
NB : Il s'agit là d'une offense imprescriptible.
M'ferez 50 Pater et 70 Ave chacun, chenapans !
L'administrateur