REGIMENT DE MARCHE DE SPAHIS MAROCAINS, le 24 avril 1917
Rapport au sujet de la nécessité de créer une maison de tolérance à Grevna.
(Grevena est en Grèce, à environ 100 km au nord-ouest de Larissa)
***
Les spahis marocains sont d'une complexion amoureuse très vive. Tous
nouveaux venus à la civilisation, ils ne savent pas encore refréner leurs passions.
Rien ne les y avaient préparés; au Maroc ils trouvaient autant de femmes
qu'ils le voulaient, et la vérité nous oblige à dire qu'il en avait été de même en France.
Il serait peut-être à souhaiter qu'ils eussent plus de continence, mais rien
ne sert de déplorer ce que l'on ne peut empêcher; il faut prendre nos hommes
tels qu'ils sont et nous en servir avec leurs qualités et leurs défauts.
Dans le cas qui nous occupe, il faut faire la part du feu, c'est-à-dire
créer une maison de tolérance.
La chose est facile à faire, il suffit de :
1°/ de recruter le personnel ; si l'autorisation de cette création est
accordée, j'enverrai à Salonique un officier qui s'abouchera avec le
service des renseignements lequel le mettra en rapport avec le service des moeurs.
On trouverait un entrepreneur ou une entrepreneuse qui aurait tôt fait de
dénicher le personnel nécessaire parmi les filles soumises régulièrement inscrites.
Quatre seraient suffisantes pour prévenir, à condition qu'elles soient vaillantes à l'ouvrage;
il en faudrait six, si l'on prévoit les indisponibilités passagères, et les accidents de travail.
2°/ il faudrait trouver un local; ce serait l'affaire du Chef de District de Grevna
après entente avec le Commandant des Spahis marocains.
Il existe à Grevna beaucoup de maisons inhabitées.
3°/ il faudrait assurer le transport de tout ce personnel et de mobilier
sommaire mais nécessaire et indispensable.
4°/ comme ce personnel serait déraciné, il faudrait lui faciliter sa
nourriture et lui donner l'autorisation de toucher à titre remboursable les
vivres qui sont allouées aux soldats français. Les spahis marocains
pourraient être chargés de la réception des vivres.
En résumé, cette création ne parait pas offrir de difficultés matérielles ni
administratives et grâce à elle le calme renaîtrait dans le coeur des spahis
marocains et toute inquiétude disparaîtrait dans l'âme des maris de Grevna.
NB. Un établissement semblable pourrait être organisé à Servia avec un
nombre de pensionnaires un peu plus élevé.
Signé : DUPERTUIS,
Chef de corps du Régiment de Marche de Spahis Marocains
Commandant en Chef les AA en Orient
Etat-Major Général 2e Bureau N° 4794/2 SRGAA le 2 mai 1917
Le Général SARRAIL Cdt. en Chef les AA en Orient
à
M. le Colonel Commandant le Régiment de Marche de Spahis Marocains
***
En réponse à votre rapport du 24 Avril, j'ai l'honneur de vous faire
connaître que j'ai approuvé en principe vos propositions relatives à
l'installation d'une maison de tolérance à Grevna.
Des démarches ont été faites déjà par le service de la sûreté auprès des
matrones spécialistes de ce genre d'entreprises.
II parait urgent que vous envoyez à Salonique, comme vous le proposiez, un
officier pour traiter directement cette affaire avec les intéressées qui ont
paru disposées à la mener à bien.
Cet officier pourrait leur fournir toutes les indications de détail de
nature à calmer leur appréhension actuelle.
Les professionnelles de Salonique, en effet habituées depuis l'arrivée des
Alliés à des bénéfices très élevés, craignent de ce s'élancer dans l'inconnu
et de lâcher le certain pour l'aventure.
Elles ont même demandé si on pourrait leur garantir un minimum. Sans aller
jusque-là, il semble que l'officier que vous enverrez, pourra facilement les
persuader qu'en raison de l'impatience et du nombre de leurs futurs clients,
elles n'ont aucune crainte à avoir quant à la marche de leurs affaires.