La bataille de Sidi Brahim, fait d’armes d’une bravoure extrême, est aux Chasseurs ce que la bataille de Camerone est à la légion. Elle est inscrite sur le drapeau des Chasseurs.
Le 14 juin 1830, prétextant un affront fait au consul de France, les armées de Charles X débarquent à Sidi Ferruch, près d’Alger.
Le régent turc Hussein Dey capitule dès le 5 juillet, et l’autorité de l’empire ottoman sur les territoires de l’ex- régence d’Alger est alors transférée au royaume.de France.
Durant quinze ans, l’armée française, s’appuyant sur des chefs locaux, dont Abd El Kader, va mener une politique d’implantation restreinte au littoral afin d’assurer la sécurité de la navigation maritime, faire cesser la piraterie barbaresque et mettre fin à l’esclavage.
Mais en septembre 1845, l’émir Abd El Kader, réfugié au Maroc oriental, réunifie les tribus divisées et, à la tête de plusieurs milliers de cavaliers, décide de reprendre le combat.
Le dimanche 21 septembre, le caïd Mohamed El Trari de la tribu des Souhalias, officiellement ralliée à la France, signale la présence de l’émir à proximité de Djemaa-Ghazaouet et demande du secours. La garnison de ce poste frontalier forte de 600 hommes, est commandée par le lieutenant-colonel de Montignac, officier fougueux et intrépide dont l’ambition avouée est de capturer Abd El Kader.
N’écoutant que son envie d’en découdre, et passant outre les avis de ses chefs, Montignac le soir même à 22 heures, prend la tête d’une colonne composée de 354 chasseurs d’Orléans, (ancêtres des Chasseurs à pied et des futurs Chasseurs alpins et mécanisés) du 8eme bataillon, et de 67 cavaliers du 2eme régiment de Hussards. Le 22 au matin, un messager de Trari signale que des forces importantes se dirigent vers Sidi Bou Djenane, à plus de 15 kilomètres au sud.
La colonne quitte le bivouac en direction du sud et le 23 septembre en fin de nuit, un nouveau bivouac est installé à Sidi Moussa El Amber. A l’aube, les cavaliers arabes repérés la veille sont toujours en observation sur les crêtes qui barrent l’horizon.
Montagnac laisse au bivouac une compagnie de Chasseurs ainsi qu’une partie de la compagnie de carabiniers et, avec le reste de son détachement, se dirige vers ces crêtes.
Quelques kilomètres plus loin, près de 6.000 cavaliers, menés par Abd El Kader en personne, fondent sur la colonne. Les Hussards chargent mais sont submergés et anéantis. Les Chasseurs forment le carré et à plusieurs reprises, chargent pour se dégager. Montignac est tué. Disloquées, dispersées, écrasées, les unités du 8 ème d’Orléans succombent sous le nombre et sont massacrés.
Averti du drame par un Hussard, le commandant Froment-Coste qui commande le détachement resté au bivouac, se précipite avec une compagnie de Chasseurs, ne laissant au bivouac que les carabiniers. Il moins de deux kilomètres. Les cavaliers d’Abd El Kader l’interceptent, l’entourent et l’assaillent. La lutte est brève. Froment-Coste est tué et bientôt il ne reste plus que douze chasseurs qui vont se battre jusqu’au bout, sur les corps de leurs officiers.
Le capitaine de Géreaux, qui a la responsabilité du bivouac, après un vain essai pour se porter au secours des ses camarades, assiste impuissant à la lutte désespérée qui se déroule dans la plaine.
Il comprend que bientôt il devra supporter tout le poids de l’attaque adverse et qu’il ne pourra rien faire dans ce terrain dégagé, plat et sans obstacle, inadapté à toute action défensive. A 1000m de là, vers l’est, se dresse dans la plaine le petit édifice de la kouba du Marabout de Sidi Brahim, entouré d’un muret de pierres sèches d’un mètre cinquante de hauteur, et de quelques figuiers. C’est là que de Géreaud décide de se replier et de se battre en attendant des renforts.
Il rassemble ses 82 Chasseurs, fonce vers la kouba et fait hisser un drapeau tricolore de fortune. Pendant trois jours et trois nuits il va résister aux assauts furieux d’Abd El Kader et de ses troupes. Devant cette résistance inattendue, Abd El Kader perd patience. Par trois fois, il somme les Chasseurs de se rendre en échange de la vie sauve. Par trois fois, de Géreaux, blessé et épuisé, refuse.
Après les sommations viennent les menaces, et bientôt les supplices.
C’est d’abord le capitaine Dutertre, fait prisonnier le matin qui, amené devant le muret crie à ses camarades de ne pas se rendre. Il a la tête tranchée sur le champ. Sa tête est promenée autour de la kouba, bien exposée à la vue des défenseurs. Puis, ce sont les prisonniers des combats précédents qui, les mains liées, sont traités de même. Enfin c’est le clairon Rolland qui reçoit l’ordre, sous menace de mort, de sonner « la retraite ». Rolland sonne « la charge »!
Les jours passent, la résistance ne faiblit pas malgré la faim et surtout la soif. Abd El Kader, jugeant les défenseurs incapables de tenir longtemps a quitté les lieux, ne laissant qu’environ 450 hommes pour terminer le combat.
Les secours n’arrivant toujours pas, de Géreaux, de plus en plus affaibli mais qui a gardé le commandement, se rend compte que la situation ne peut plus durer et décide alors qu’il faut percer et tenter de regagner Djemaa Ghazaouet distante de quinze kilomètres. Il confie le commandement au seul gradé en état d’assurer la mission, le caporal Lavayssière.
Le vendredi 26 septembre, à six heures, 73 chasseurs et hussards escaladent la face nord de la kouba, bousculent les avant-postes ennemis totalement surpris et, formés en carré, les sept blessés placés au centre, se mettent en marche dans la plaine, sous le soleil matinal.
A hauteur de Tient, les habitants les assaillent et font six blessés.
Pendant toute la journée, constamment environnés et harcelés par l’ennemi qu’ils repoussent à la baïonnette faute de munitions, farouchement groupés en carrés successifs, ils progressent difficilement en direction de Djemaa Ghazaouet qu’il leur faut atteindre à tout prix. Le dernier clairon valide sonne de toutes ses forces pour attirer l’attention.
Leur fatigue est immense, la soif les torture. Ils n’ont plus que leurs baïonnettes et ne sont que vingt-cinq survivants. Enfin, ils atteignent l’oued Mersa où ils vont pouvoir se désaltérer. Mais la tribu des Ouled Ziri les y attend et malgré les protestations du cheikh El Hadj Kadour Ben Hossein, ils sont fusillés à bout portant. Le capitaine de Géreaux et le lieutenant de Chappedeleine sont achevés les premiers.
Seuls, seize hommes épuisés, harassés, tous blessés, sont recueillis par la garnison venue à leur rencontre: les derniers survivants sont le caporal Lavayssière, quatorze chasseurs et le Hussard Natali. Deux soldats meurent très vite d‘épuisement. Trois autres suivront quelques jours plus tard.
Ce fait d’armes héroïque connut un retentissement extraordinaire.
Coïncidence étrange, c’est au marabout de Sidi Brahim qu’Abd El Kader fit sa reddition le 23 décembre 1847 au colonel Cousin de Montauban, puis le lendemain à Djemaa Ghazaouet (Nemours), au général Lamoricière, avant de faire sa soumission au duc d’Aumale fils du dernier roi des Français Louis-Philippe 1er.
Les restes des soldats tués à Sidi-Brahim furent rassemblés à Djemaa Ghazaouet (Nemours) dans le « Tombeau des Braves » Ils furent ramenés en France en 1962 et depuis 1995, ces soldats reposent dans le nouveau « Tombeau des Braves » du château de Vincennes, aménagé dans une crypte du pavillon du roi.