LE 7ème RÉGIMENT DE SPAHIS DE L’ARMÉE FRANCAISE, RÉFUGIÉ EN SUISSE DE JUIN 1940 A JANVIER 1941
Témoignage du capitaine (ER) Marcel PUECH, ancien du « 7ème », recueilli par Roger LEVALLEUR
Note du journal « Les Volontaires »: la défaite de juin 1940 est une page noire de notre histoire de France ; ceux qui l’ont vécue en ont conservé la grande tristesse et l’humiliation. En 1939, l’armée française, auréolée par la victoire de 1918, était considérée comme l’une des premières armées du monde.
En mai-juin, en un mois et demi, elle perdit 1 800 000 prisonniers, capturés par l’armée allemande. Les causes de cette défaite sont nombreuses et toujours controversées.
L’une d’entre elles est certainement la terrible saignée de la guerre 1914/1918 : 1 400 000 morts pour l’armée française. En septembre 1939, des anciens de 14/18 sont repartis au combat seulement vingt ans après ce qu’ils avaient cru être la « der des der » ; comme si, pour les anciens des 39/45, une 3ème guerre mondiale avait éclaté en 1965 (20 ans après…).
Cependant, il est juste de dire que des unités françaises se battirent vaillamment en mai-juin 40, à l’exemple symbolique des « cadets de Saumur » : 130 000 militaires français ont été tués pendant cette sinistre période.
La bataille de Dunkerque fut rude et permit l’embarquement de 340 000 hommes, presque tous à destination de l’Angleterre.
Des divisions se replièrent derrière la Loire, en ordre et avec leur armement, en se défendant pied à pied.
Le capitaine (ER) PUECH a raconté à Roger LEVALLEUR l’aventure du 7ème spahis, régiment d’engagés, donc de « volontaires » (la plupart d’origine maghrébine), qui échappa à la capture en se réfugiant en Suisse le 19 juin 1940.
François GOETZ Ancien président national de la FNCV
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TÉMOIGNAGE
Juin 1940 : La 2ème brigade de Spahis (7ème et 9ème régiments) fait partie du 45ème corps d’armée (CA) du général DAILLE, initialement destiné à contenir l’avance allemande au sud de l’Alsace et dans la trouée de Belfort.
A partir du 14 juin, sous la pression de l’ennemi, par un glissement le long de la frontière suisse, les troupes françaises se replient vers le sud. Mais les allemands, par un large mouvement tournant, par le plateau de Langres et la vallée de la Saône, occupent déjà Pontarlier.
Le corps d’armée est donc pris dans une nasse fermée au nord, à l’ouest et au sud. Les autorités françaises négocient son internement en Suisse.
La brigade de spahis reçoit alors mission, pour permettre aux diverses unités, dont la 2ème division polonaise, de passer la frontière, de retarder l’avance allemande sur l’axe Pontarlier-Belfort.
Le 17 juin, le contact est pris avec l’ennemi sur les hauteurs sud du plateau de Maîche.
Après deux jours de combat, le régiment décroche vers 23 heures sous un violent tir d’artillerie qui nous cause de sérieuses pertes. Il est à noter qu’à instant où nous mettons le pied à l’étrier une fusée éclairante, partie du village, signale à l’ennemi le moment de notre décrochage.
Bien qu’effectué dans la nuit et dans des conditions difficiles, ce repli s’accomplit assez bien, grâce à l’expérience d’une troupe dont tous les éléments sont de l’armée active.
Le 19 juin, nous passons donc la frontière à Goumois où l’armée suisse procède à notre désarmement. Dieu merci, nous conservons nos chevaux. Il est à noter que le 9ème Spahis, qui opérait plus à l’ouest, n’arrivera pas à la frontière avant les troupes allemandes et sera fait prisonnier.
Du 19 au 20 juin, 29 717 Français, 12 152 Polonais, 624 Belges et 99 Anglais passent en Suisse, soit plus de 40 000 hommes avec 7 800 chevaux.
On dénombre également 540 autos et camions, 579 fourgons et charrettes, 30 motos et une douzaine de chars.
Les unités sont d’abord regroupées sur le plateau de Saignelégier. Bien sûr, nous n’aurons guère le temps d’apprécier la beauté et la sérénité des Franches-Montagnes, mais nous admirons l’organisation avec laquelle les autorités civiles et militaires, ainsi que la Croix-Rouge, règlent le difficile problème de cet accueil, et surtout la chaleur de cette hospitalité.
Nous sommes ensuite dirigés, pour y être cantonnés, dans la région de Bienne où hommes et chevaux sont logés dans des granges.
A part quelques groupes isolés qui retrouveront très vite leurs unités, les divers escadrons ont passé la frontière en unité constituée, si bien que le régiment a conservé sa structure (son ordre de bataille, pour employer le terme exact) depuis le colonel, chef de corps, jusqu’au brigadier chef d’escouade, ce qui nous permet de maintenir une discipline satisfaisante. Nous somme bien sûr surveillés, sinon gardés, par des éléments de l’armée suisse, mais cette surveillance est très discrète. Nous n’avons pas affaire à des geôliers.
Dès les premiers jours, nous serons pour la subsistance au menu de l’armée suisse, ce qui nous permet d’apprécier un chocolat au lait qui nous change beaucoup de notre « jus » traditionnel. Assez rapidement, nous pouvons récupérer, nos cuisines et par je ne sais quel système d’approvisionnement, retrouver surtout pour nos spahis « l’ordinaire » habituel et remonter nos popotes d’officiers et de sous-officiers.
Mais le couchage dans la paille a amené des parasites, en l’occurrence des poux, si bien qu’une bonne partie de nos journées sera consacrée à faire bouillir linge de corps et couvertures.
Le reste du temps est consacré aux soins des chevaux, par ailleurs toujours convenablement nourris. A la demande des habitants, quelques hommes de troupe aideront à la cueillette des cerises. Cependant, et bien qu’aucun incident majeur ne soit signalé, il apparaît que la population manifeste quelque méfiance envers les « sarrasins ». Il est vrai qu’il y a quelques siècles, les ancêtres de nos maghrébins sont passés par là. Et puis, nos pelotons sont trop dispersés. Un regroupement s’impose, d’autant plus que le moral de la troupe, toujours sensible à la loi du plus fort et qui a mal accepté cette défaite, paraît un peu se dégrader sous l’influence de quelques meneurs animés de sentiments anti-français. Ils sont très rares, mais il faut veiller au grain.
Nous passons donc dans ces villages une quinzaine de jours et, dans le courant du mois de juillet, nous quittons cette région pour un camp qui a été édifié sur la rive est du lac de Neuchâtel.
Nous sommes au bord du lac, sur un terrain qui fut, semblerait-il, exploité naguère pour l’extraction de la tourbe. Ce camp est clôturé, mais je dois dire que je n’ai vu ni barbelés, ni miradors.
Les chevaux sont abrités sous de grands chapiteaux, les hommes sont logés dans des baraquements en bois. Trois sorties journalières nous amènent au bord du lac, pour abreuver nos chevaux. Cependant, dès les premières pluies, sur ce sol tourbeux, on patauge dans un marécage. De plus les possibilités de sorties, pour donner quelques exercices à nos montures, sont extrêmement réduites.
C’est à cette époque que nous recevons la visite du colonel suisse de Tcharner. Il était, semblait-il, chargé de la surveillance des camps d’internés. Par son passé d’ancien officier de la Légion, par sa connaissance des maghrébins et à la suite de ses séjours au Maroc, il était tout-à-fait destiné à remplir efficacement la mission que revêtait notre cas particulier. Notre chef de corps, le colonel de Torcy, avait également servi au Maroc et sans doute s’étaient-ils connus au cours des dernières campagnes de la pacification.
Peu après cette visite (en est-ce le résultat ?), nous quittons cette région insalubre pour prendre des cantonnements dans la région de Payerne. Le PC du régiment est installé à Yverdon ou à Yvonand. L’escadron auquel j’appartiens, est cantonné à Combremont-le-Petit. Je dis bien cantonné car il ne s’agit pas d’un camp clôturé.
La majeure partie des chevaux et de la troupe, sont logés dans une grande ferme qui, d’après ce qu’on nous a dit, est une ferme communale où les éleveurs mettent en été des génisses au pâturage qu’ils récupèrent ensuite à l’entrée de l’hiver. Comme si nous étions en France, les officiers et quelques sous-officiers sont logés chez l’habitant.
Des limites de cantonnement à ne pas franchir sont signalées par des panneaux sur les routes et chemins d’accès au village. Elles sont gardées nuit et jour par une sentinelle de l’armée suisse. Des patrouilles, surtout nocturnes, assurent la surveillance des intervalles. Nos « gardiens » sont très conciliants en dehors des services, mais nous connaissons leur sens de la discipline et nous savons aussi que nous sommes au pays de Guillaume Tell. Aucun d’entre-nous ne prendra le risque de se faire « flinguer » et s’il y eut quelques évasions ce fut avec l’amicale complicité de quelques habitants.
Toutefois, ces limites peuvent être franchies pour les sorties de nos chevaux que nous effectuons quotidiennement sur des itinéraires établis, en accord avec les autorités locales.
Pour occuper un peu plus nos spahis, nous sortons en général nos montures : pour une moitié le matin et pour l’autre l’après midi.
Il est procédé à deux appels par jour, tout personnel compris, les officiers inclus. Le sous-officier qui commande la section suisse assiste à cet appel et fait vérifier par son personnel les absences justifiées (gardes d’écurie par exemple ou malades).
Ce gradé, même s’il ne fait pas partie de l’armée, est un cavalier et ses deux magnifiques chevaux ridiculisent par leur taille et leur poids nos petits chevaux barbes. Nous lui offrons la possibilité d’en monter quelques uns et il ne tarde pas à apprécier l’agilité, le pied et l’endurance de nos merveilleux serviteurs.
Il possède, paraît-il, dans la région une usine de taille de rubis de montre. S’il est très exigeant dans le service, il est également, et sans ostentation, très généreux. Il aime le contact avec le milieu sous-officier et nous lui devons quelques bonnes choucroutes et fondues !
Afin de marquer les fêtes de Noël et pour remercier les habitants de leur accueil et de leur hospitalité, nous organisons une soirée récréative à laquelle ils sont cordialement invités. Bien entendu, les locaux sont gracieusement mis à notre disposition par les autorités locales.
Vers le 15 janvier 1941, et à la suite de je ne sais quelles tractations, nous apprenons que nous allons être rapatriés.
Ce rapatriement sera effectif le 21 janvier. Nous quittons Combremont-le-Petit. A la joie de retrouver prochainement notre patrie et nos familles se mêle également le regret de quitter une population avec laquelle nous avions déjà quelques liens d’amitié.
Nous embarquons en chemin de fer à la gare proche. Cependant, avant cet embarquement, nous recevons l’ordre de laisser sur le quai selles et brides. Nous conservons avec nous un tapis de selle, un surfaix, un bridon d’abreuvoir, les besaces. Quelle est la raison d’une telle mesure ? Qu’est devenu ce matériel ?
Les selles arabes, à arçon de bois, sont inutilisables sans leur épais tapis de feutre. Quant au mors arabe, il est rarement adaptable à la bouche d’un cheval européen.
Nous débarquons le lendemain à Genève, en gare de marchandises, et par la campagne genevoise nous gagnons Bossey, Veyrier où nous franchissons la frontière.
Nous avons passé la campagne en septembre 1939 à Annemasse et nous revenions au point de départ. La boucle était bouclée.
Michel PUECH
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A propos de ce séjour suisse du 7ème Spahis :
Si vous passez en Suisse sur la côte est du lac de Neuchâtel, à environ 19 kilomètre d’Yverdon, arrêtez-vous à Estavayer-le-Lac.
Dans cette charmante cité lacustre, vous trouverez un musée consacré uniquement (ou presque) au séjour des soldats de l’armée française et des Spahis pendant l’hiver 1940/1941. Un joli tableau du capitaine LIMOUSIS, du 7ème spahis, atteste de cette présence. Des canons, des fusils, des selles, des embouchures, des cartouchières, des burnous et des bottes de parade brodés d’argent sont exposés et peut-être en cherchant bien trouverez-vous en villes quelques « descendants » de cette époque ?