Les Divisions Navales d'Assaut : Traversée du Pacifique
Souvenirs de la traversée du Pacifique à destination de Saïgon, par les engins "Dinassaut" achetés aux Etats-Unis
Une véritable épopée racontée avec humour par le quartier maître mécanicien DEMICHEL. (Matricule 51) embarqué sur le GOLO.
« Rien de bien important à raconter sur ma traversée du Pacifique, sinon qu’il nous fallait travailler sans relâche dans la petite machine exigüe où huit moteurs Gray Marine 6/71 et le groupe électrogène ronflaient dans un bruit infernal et une température qui dépassait allègrement les 50°. Séances de déculassage pour changement des pistons, soupapes, tiges de culbuteurs, pompes à huile, soufflantes ... Le tout dans un univers visqueux, bouillant, amianté.
Les moteurs se désynchronisaient sans arrêt, il fallait débrayer, régler au compte-tours les quatre moteurs de la même ligne d'arbre, les pieds glissant dans le jus nauséabond de la cale.
Les disques d'embrayage explosaient. Il fallait découpler le moteur au palan.
Par mer formée, tout le monde était au bastingage à nourrir les poissons.
Nous étions vingt environ. Seuls le pacha, l'enseigne de vaisseau CADIC, résistait en fumant, ce salaud, un énorme cigare, et le quartier maître bosco, à la barre, chiquait en glaviotant à distance avec une précision diabolique, son bidon de pinard californien se balançant au dessus de sa tête.
Un matelot à bord, qui avait pété les plombs, montait la garde devant la carte de la traversée, affichée dans la petite coursive en demandant inlassablement qu’on le débarque sur la première île la plus proche.
Sur le LCI 699 qui nous accompagnait, les gars en eurent marre et il y eut une mutinerie à bord. Ils prirent le contrôle du bateau, virèrent leur pacha de la passerelle et pour finir lui bouffèrent toutes ses provisions, ce qui était déjà fort repréhensible, mais ils lui burent aussi la totalité de sa réserve de whisky, ce qui était une faute impardonnable. Le responsable passa au Tribunal militaire de Saigon et fut condamné aux Sections Spéciales. Il y fut chargé d’ouvrir la route, à motocyclette, chaque matin, de Haiphong à Hanoï, et cela n’avait rien de la Nationale 7.
Le lieutenant de vaisseau Guillaume " Crabe Tambour" qui était à quelques jours de mer derrière nous, bien qu'il prétendit être le premier, ignorait que des fissures à l'arrière du bateau, avait été réparées aux USA au moyen de chiffons camouflés par de la peinture. Il faillit couler et dut passer sur dock à Guam. Pour combler son retard et rechercher les alizés, faisant fi des instructions, il se dérouta vers le sud, ne sachant pas qu’à cette époque, les Américains faisaient un essai nucléaire sur l'atoll d'Eniwetok dans les îles Marshall. Il faillit recevoir une bombe H sur la gueule.
Peu d’autres choses à raconter si ce n'est que nous avons foutu le souk à Guam et Subic Bay, aux Philippines. J'allais oublier : le pacha pour nous détendre et apprendre le maniement des armes, nous faisait tirer de temps en temps sur les requins au fusil Springfield ou à la mitraillette Thompson (11,43 s'il vous plait, comme le Colt).
Il y eut cette histoire d'un camarade mécanicien qui reçut en cadeau le pantalon d’un mataf américain, et qui l’avait rapporté sur le GOLO, tout fier de sa capture. Je me suis toujours demandé comment ce matelot ainsi déshabillé avait pu rentrer à son bord. Je me souviens enfin que sur un LSSL, plus tard, on pilla nuitamment la cambuse et on se fit cuire des œufs sur le plat et des côtelettes grillées au moyen d’un petit plat métallique chauffé au chalumeau. Dans la machine, évidemment. Le Colt Python qu'avait laissé à bord le lieutenant de vaisseau Guillaume montait la garde lové sur les taquets de fermeture de la porte. Le commis du bord s'arrachait les cheveux…
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage. En Indochine finalement, le fleuve c'était le paradis. Les moteurs tournaient au ralenti donc ne cassaient jamais. Par contre, la vase envahissait tous les circuits. Le métier de mécanicien dans la Marine, pour l’aimer, y faut y croire ! L’ambiance « copains » sauvait tout, surtout si on était un ancien arpète.