Volontaires
d'aujourd'hui... Volontaires de demain ?
= Algérie =
Lucien Henri Galea : Entre saccos et biffins
Signes extérieurs d'irrespect
entre saccos et biffins
En ce temps là, les relations entre saccos en biffins, c'est-à-dire fusiliers marins de la Marine et fantassins de l'armée de Terre, étaient empreintes d'un certain caractère. Disons le franchement: nous nous détestions cordialement et les accrochages n'étaient pas rares. Surtout avec certains gradés de l'infanterie qui prenaient très mal la latitude que nous autres matafs prenions avec la discipline militaire, telle qu'ils la concevaient dans l'armée de Terre, c'est-à-dire, "jugulaire-jugulaire", en appliquant strictement le manuel d'instruction. Je vais vous conter trois anecdotes illustrant l'ambiance qui régnait alors entre nous.
Quand les saccos partaient en goguette...
Durant la guerre d'Algérie, le camp Saint Marthe, à Marseille, accueillait - si l'on peut utiliser un terme aussi flatteur - les soldats en transit, avant leur embarquement sur les navires de transport de troupes qui les emmenaient vers Alger, Oran ou Philippeville.
Mes souvenirs sont ceux - je vais être sincère, donc brutal, et même trivial, qu'on me le pardonne - d' une saloperie de caserne où la bouffe était infecte, et l'hébergement pire encore. Heureusement, les fuscos en transit, dont je faisais partie, étaient exemptés de gardes et de corvées. En quelque sorte, nous étions des invités. Donc, à notre arrivée, avec un pote, on pose nos sacs dans le baraquement réservé aux matafs, et nous voilà partis sans désemparer, pour aller becqueter en ville et courir la gueuse du côté de la rue Thubaneau.
Nous nous dirigeons sereinement vers la porte principale, quand un sonore:
- Pssst, Hé vous là bas !!! gueulé à pleine voix derrière nous, nous interpelle.
Mon copain me dit: - Te retourne pas!.
Et voilà-t-il pas qu'un adjupète biffin, haut comme trois merdes, nous court après, et se foutant devant nous en rogne, commence à vitupérer:
- Pourquoi ne vous êtes vous pas arrêtés lorsque je vous ai interpellés ?
Mon pote - un costaud d'un mètre quatre vingts - lui colle sa manche de vareuse sous le nez et lui dit :
- Même quand j'ai la chiasse, on m'appelle quartier-maître, t'as pigé, biffin ?
Oh putain !, l'autre saute en l'air comme une mine bondissante et nous enjoint de l'accompagner sur le champ vers le poste de garde.
Il entre avec nous, claque les talons et lance à l'officier de permanence qui lisait le journal :
- Mon capitaine, j'ai surpris ces deux hommes qui se dirigeaient vers la porte principale sans permission de sortie.
Le capitaine lève la tête, nous jette un regard, et d'un geste las de la main, dit à l'autre agité :
- Laissez, laissez, adjudant ne voyez-vous pas qu'il s'agit de marins ? et il replonge derechef le nez dans son canard.
Il avait tout dit. Nous saluons, faisons un demi-tour impeccable, et en passant près du juteux déconfit, mon pote lui glisse à voix basse :
- Hein ça te la coupe mon canard?
L'autre en est resté la gueule grande ouverte.
Un obsédé du salut militaire
En repensant à cette bourrique, j' ai, si vous le permettez, une autre d'histoire de la même barrique; c'était à Alger en 1960.
On sortait du cours de saccos et on avait prévu une petite ribote pour marquer le coup. Donc nous étions quatre ou cinq en train de nous diriger vers le resto (il était 20.30) quand un lieutenant biffin gueule:
- Gaaarde-à-vous !!!.
On stoppe et on se met au garde à vous. Le pète-sec nous engueule, et veut prendre nos noms pour absence de salut à un supérieur.
Nous nous regardons et on se met tous à rigoler. L'autre en devient cramoisi et nous menace de la taule. On rigole encore plus. A la fin, un de mes potes lui dit sur le ton de la confidence :
- Vous fatiguez pas lieutenant (on ne dit pas "mon" dans la Marine), passé vingt heures on ne salue plus personne dans la Marine, pas même un général !!
Comme il continuait à glapir et à trépigner, on lui a tourné le dos carrément, et on est allés casser la croûte en le plantant sur place.
Quel corniaud celui-là!
Ouvre la barrière toi-même!
En Algérie, les équipages de blindés qui servions sur la herse, nous étions tellement fatigués que de temps à autre on nous foutait de garde à la porte qui commandait la RN 7, endroit où les blindés du RICM montaient en renfort, au cas où les fellouzes auraient enfoncé notre dispositif. Cette porte commandait l'arrêt momentané de l'alimentation électrique du réseau.
Or donc, c'était la première fois que je montais la garde. (de 20.00 à 23.00 heures, ensuite dodo toute la nuit). Les engins -des EBR- arrivent, s'arrêtent, et un type me gueule:
- Ouvrez moi cette porte en vitesse.
Le type debout dans sa jeep ne porte pas de galons, aussi je lui réplique :
- T'as besoin d'un larbin pour ouvrir une porte ? fais le toi même !!
Le mec saute de sa jeep, fonce sur moi et me hurle :
- Je suis le commandant Duval ! .
Je regarde ostensiblement ses épaules et lui dis:
- T'as pas de galons, tu peux être n'importe quel connard qui se la joue.
Là, il vire au rouge brique, saisit le téléphone du poste de garde et appelle l'officier OPS. Celui-ci lui demande de me passer le téléphone, et me dit:
- Attendez sur place, un type va vous relever et vous monterez voir le pacha avec ce prétendu officier.
Bon, on attend, l'autre gars arrive et nous voilà partis chez le pacha. Ce pacha qui venait d'Indo était un dur à cuire qui, même en opérations de jour, portait toujours ses galons. Voilà notre commandant biffin qui salue et, me désignant vocifère :
- Cet homme m'a insulté, il m'a même traité de connard.
Le pacha me regarde et me dit :
- Et alors, pourquoi avez vous insulté vous cet officier ?
- Commandant, ce type n'a pas de galons sur les épaules, il n'est pas en tenue règlementaire, et pour moi c'est un loquedu comme un autre.
Le pacha, la gueule renfrognée, se tourne vers l'autre et lui dit d'un ton doucereux:
- Cet homme a raison, sans vos galons vous n'êtes pas officier. Je porte mes galons même en opération de jour, alors faites pareil. Maintenant, rompez.
A la fin de ma garde, j'ai été convoqué de nouveau par le pacha qui m'a gentiment admonesté :
- Cà ira pour cette fois, mais n'allez pas trop loin !