L’amalgame, la 1ère armée, et le franchissement du Rhin
Après, la campagne d’Italie de février à mai 1944, le débarquement allié victorieux du 06 juin 1944 en Normandie et le débarquement d’août 1944 en Provence, la remontée vers notre frontière de l’est se poursuit simultanément à la poussée américaine dans la même direction.
L’amalgame se concrétise durant les derniers mois de 1944, par l’incorporation aux troupes débarquées d’Afrique, de 137.000 résistants venus de toutes les zones de résistance. Ceux qui ont participé à la libération de Paris et suivi l’armée Patton avec 3.000 hommes, demandent à leur tour à combattre dans les rangs de la 1 ère armée. De Lattre les passe en revue et dit « l’ardeur et la franche allure de ces hommes -parmi lesquels se trouvent des gosses de moins de dix sept ans- sont émouvantes ; je les accueille de tout cœur, fraternellement ».
Les détachements F.F.I. sont incorporés à la 1ère armée selon leurs affinités régionales.
C’est le 15 septembre 1944 que l’armée B prend le nom d’armée française.
Ce groupe de résistants, armé et ravitaillé par l’armée américaine va combattre à ses côtés. De rudes combats ont lieu dans les Vosges, avec de très mauvaises conditions atmosphériques.
De Lattre va réussir l’amalgame
Le 13 janvier 1945, le groupe de résistants est incorporé au 151ème R.I. de la 1ère armée, en compagnie de l’armée d’Afrique.
Ce fut l’amalgame, l’une des grandes réussites du général de Lattre, qu’il exprimera plus tard dans les termes suivants :
« Nous avons redonné sa chance à la France. Quoi qu’il arrive, je ne peux rien espérer de plus beau que d’avoir commandé la 1ère armée et d’avoir signé à Berlin. Il n’est pas possible pour un soldat de connaître une joie grande. Car je suis un soldat et je ne serai jamais qu’un soldat. ». Jean de Lattre
Nous étions alors arrivés à proximité de la frontière naturelle de l’Allemagne…
Le Rhin, objectif principal, paraît encore très difficile à atteindre tant à cause de la résistance allemande, que de l’épuisement de nos hommes, de la pénurie de matériel, du temps pluvieux et froid, enfin de l’obstacle principal à franchir, les Vosges.
Strasbourg est libérée le 23 novembre 1944 par Leclerc. La 1ère armée seule devra tenir tête à la XIX ème armée allemande.
Entre Strasbourg et Mulhouse, le centre de la plaine d’Alsace, autour de la « poche de Colmar», reste toujours fermement occupé par l’ennemi.
Le 02 février 1945, Colmar est libérée intacte, symbole de l’effondrement de la résistance allemande en Alsace. Les armes de la ville de Colmar ornent le drapeau « Rhin et Danube ». Le 21ème corps américain de Milburn et les troupes du sud se rejoignent à Rouffach et Ste Croix en Plaine. Le 9 février, la 1ère armée borde le Rhin sur tout son cours.
En 3 semaines, elle a chassé les allemands de l’Alsace.
Mars 1945, le franchissement du Rhin en barques
Après une remise en état générale, la 1ère armée se tient prête.
De Lattre, qui n’était pas revenu à Paris depuis 1940, y rencontre le général de Gaulle.
Les deux hommes partagent une même certitude : «Participer à l’invasion de l’Allemagne est pour notre pays un devoir et un droit».
Les plans alliés ont prévu le franchissement du Rhin, au nord de Spire, par les armées anglaise et américaine. Rien n’est prévu pour l’armée française. Ni de Gaulle ni de de Lattre n’acceptent cette situation. L’armée française franchira aussi le Rhin. De toute façon elle entrera en Allemagne. Ainsi le veulent la nation, l’armée, et leur chef.
Nous disposons de la 1ère D.B., de la 4ème D.M.M., de la 9ème D.I.C., de la 14ème division qui vient d’être constituée avec des unités d’origine F.F.I. Un certain nombre d’autres unités de valeur sont en outre rattachées.
Par contre, la 2ème D.I.M. passera au 2ème corps et quelques jours après, Linarès en prendra le commandement.
De Lattre s’est installé à Mulhouse. Il monte une école de cadres à Rouffach. A cet endroit, de Lattre galvanise les jeunes, forge le moral et crée l’unité.
Le 29 mars, je suis convoqué par de Lattre à Guebwiller. Il est tard, plus de 21 heures. Il vient de recevoir un télégramme de de Gaulle lui donnant l’ordre de franchir le Rhin en Palatinat par tous les moyens possibles, même avec des barques, car dit-il, « Karlsruhe et Stuttgart nous attendent, si elles ne nous désirent pas ».
Il s’agit donc de passer avant les Américains. Monsabert est alerté ; il prépare l’opération à Spire et Gemersheim, mais aucune date n’est arrêtée.
De Lattre l’appelle au téléphone; muets nous écoutons un étonnant dialogue :
« Allô, Monsabert, vous passerez le Rhin demain ».
Un silence … On comprend que ce dernier a quelques hésitations… Nous n’entendons pas ce qu’il dit mais par contre la voix de de Lattre éclate :
« Comment, ‘on essaiera’, il ne s’agit pas d’essayer. C’est un ordre ! Vous franchirez le Rhin demain ».
Sans un mot de plus, il raccroche.
Le lendemain 31, car il est plus de minuit, je suis à Kandel en Palatinat, avec de Lattre. Sans hésiter et avec l’audace qui le caractérise, Monsabert a exécuté l’ordre.
Au sud de la 2ème D.I.M., le 4ème R.T.M. a rencontré quelque résistance mais a pris pied sur la rive droite. Le 151ème a échoué ce matin, mais il recommence. De Lattre est plein d’euphorie.
Lorsque, le 30 mars, de Lattre donne ordre de traverser le Rhin la nuit suivante, il ne dispose que d’une cinquantaine d’embarcations, à la suite des prélèvements pour elle-même, de l’armée américaine. « l’entreprise est si audacieuse que son audace nous sert », écrit de Lattre.
Les tirailleurs nord-africains et le 151ème R.I. (les anciens de la libération de Paris) réussissent le passage de vive force grâce aussi aux efforts du génie. Le soir deux solides têtes de pont sont établies : l’une à l’est de Spire, l’autre au nord-est de Gemersheim.
De Lattre est sûr désormais que dans l’invasion de l’Allemagne, l’armée française n’est plus condamnée à jouer un rôle de second plan.
Texte communiqué par Marcel Mallardeau, combattant volontaire du 151 e R.I., blessé au combat dans les Vosges, le 29 décembre 1944.